Pendant la crise sanitaire, le secteur des relations publics et du journalisme a dû adapter ses méthodes de travail. Pour de nombreux journalistes et porte-parole, les entretiens en face-à-face habituels ont cédé la place aux appels vidéo, plus pratiques, efficaces, et chronométrés. Et qui pourrait leur reprocher ? Nous sommes tous conscients des avantages du télétravail, et du temps inestimable qu’il nous fait gagner.
Si nous pouvons tous apprécier les bénéfices de ce nouveau modèle de travail, il est toutefois légitime de se demander : que perdons-nous en retour ?
La course à l’impact
Formats courts, formules percutantes, vidéos condensées…En tant que spécialistes des relations publics, nous maîtrisons l'art de concevoir des formats concis et impactants. Leur succès s'explique aisément - dans un monde trépidant où chacun jongle avec une multitude de tâches, nous absorbons l'information par à-coups, un peu comme des shots de café.
Dans son analyse des guerres culturelles, l’historien renommé Yuval Noah Harari souligne la pression qui pèse sur les politiques lorsqu'ils disposent de peu de temps de parole à la télévision. Leur impératif n’est pas tant l'exactitude ou l'honnêteté que la nécessité d'être captivant. Cette quête constitue l'essence même du format court, conçu principalement pour son efficacité. Cependant, cet impératif doit-il aussi s’étendre au format des entretiens, de nature plus investigative, où l’exploration est davantage privilégiée ?
Trouver un équilibre
Dans ce paysage, il est essentiel de reconnaître l'importance des entretiens en personne. Tout professionnel des relations publics sait que comprendre réellement un sujet n'est pas possible dans des formats courts et condensés. Lorsqu'un journaliste rencontre un expert autour d'un déjeuner ou d'un café, peu importe le sujet ou la préparation du speaker, des moments d'hésitation, de digression et d'insights spontanés surviennent souvent après que le journaliste ait abordé le sujet sous un nouvel angle. C'est dans cet espace indéfini de la conversation que se tissent de nombreuses relations et que naissent les articles les plus captivants.
L’interview “utilitaire” soulève également un autre problème - le manque, voire l'absence de questions de suivi et de clôture, une partie de l'entretien où de nombreux journalistes chevronnés peuvent découvrir les informations les plus intéressantes : un nouveau sujet inattendu, un moment où un/une PDG divulgue involontairement l’une des clés de son leadership.
Les entretiens vidéo, s’ils sont incroyablement pratiques, ne parviendront jamais à recréer la confiance et la compréhension que peuvent favoriser les entretiens en face-à-face.
Il semble que l'ère du long entretien informel soit derrière nous. Si nous ne rechignons jamais à donner aux journalistes les éclairages spécifiques d'un expert avec lequel nous travaillons, l'entretien long restera un outil essentiel pour les journalistes expérimentés. Et cela, même dans un avenir dominé par l'IA et les réseaux sociaux.
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